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Mémoire DEA:

Danse et ville:

l'écho urbain sur la scène

Paris, France

Mémoire dans le cadre du diplôme d'architecte d'Etat

Diplôme d'architecte d'Etat 2010

ENSAPVS

    Dans les années 70, des chorégraphes indépendants lassés de la danse classique cherchant toujours à atteindre la perfection du corps, se mettent à danser dans les rues, les immeubles, préférant de loin ces espaces atypiques à la scène. Ils vont investir les espaces les plus inconfortables pour cette discipline, tout autant que pour ses spectateurs, si passant il y a, perdus dans des perspectives multiples. En effet, ces danseurs ne vont pas seulement bousculer leur art, mais aussi la manière de l’observer, de le voir, de ne plus être spectateur mais bien « spect-acteur ».

 

Bousculant toute idée reçue, les danseurs provoqueront un nouveau public, celui des curieux qui aiment à sortir des salles confinées, en le plaçant en haut d’un immeuble, dans un appartement, dans une église, dans un musée, partout où la danse n’est pas habituellement au rendez-vous. Ce public se créera dans la spontanéité d'un lieu improbable, loin d’une frontalité qu’implique généralement l’édifice théâtrale. Le spectateur sera gêné par une montant de fenêtre avec Trisha Brown et sa danse sur les toits, sera bousculé dans sa position d’observateur fixe et figé devant une oeuvre en mouvement au musée par Lucinda Childs.     

 

Parallèlement à cette évolution, une danse créée au sein même de la rue verra le jour, issue de la culture hip hop, elle donnera naissance au Krump, au Smurf, et au break dance. L’architecture des années 70 contribuera véritablement à l’émergence de ces formes corporelles originales, véhiculées par des danseurs urbains d’un nouveau genre prônant la non-violence dans des quartiers souvent défavorisés.   

 

Cette prise de risque engendré par les danseurs postmodernes et urbains à la recherche d’un renouveau de la danse intéressera peu à peu le monde fermé et élitiste du théâtre. Celui-ci cherchera à comprendre cet attrait grandissant pour ces danseurs de l'urbain, et les invitera peu à peu à intégré les plateaux de scène classique qu’ils auront longtemps évité ou bien même jamais connu. Dorénavant, ils feront face à un public peu averti aux nouvelles expériences et le public sera plongé dans une expérimentation à même le théâtre.     

 

Ce passage de la ville à la  scène ne sera en aucun cas sans incidence sur l’art de la danse. Les danseurs vont s’approprier l'espace avec une fraîcheur et une volonté forte de déjouer les règles établies par les lieux de spectacles . La relation usuel du spectateur qui se confine paisiblement dans son fauteuil attendant que le cadre s’illumine pour laisser apparaître une narration n’aura pas lieu. Trisha Brown fera grimper ses danseurs sur le cadre de scène, Lucinda Childs éclatera la danse d’ensemble pour faire apparaître des séquences chères à Merce Cunningham avec une lumière balayant à la fois la scène et le public, brouillant toute scission entre ces deux univers qui toujours se côtoient mais jamais ne se mélangent. Ces prêtresses ne chercheront plus à cacher la machinerie du spectacle. Elles éclateront la « boîte » pour y apporter un nouveau souffle, s’inspirant de leurs années urbaines pour mieux comprendre l’édifice théâtrale, occuper tous les espaces possibles pour mieux les déjouer, transgressant les règles figées, tendant toujours vert le brut et l'authentique.     

 

Cette première insertion de danse issue de cette époque urbaine aura pour but de transfigurer l’espace scénique, démontrer les larges possibilités qu’elle peut insuffler, depuis le dépassement du cadre au dépassement de la danse en soi.     

 

Une nouvelle génération de chorégraphes contemporains s'ensuivra et puisera ses inspirations non seulement chez ces danseurs d’une autre scène des années 70, mais aussi dans des thèmes résolument architecturaux qui leurs permettront d’outrepasser la structure préétablie de l'espace scénique. Ils tenteront de nouvelles approches de la scène, s’inspirant de pensées de grands architectes, d’auteurs de roman, de tout ce qui a attrait à l’architecture dans laquelle nous évoluons.

 

Aujourd'hui, un chorégraphe s'est particulièrement démarqué de cette nouvelle génération, il s’agit de Frédéric Flamand. Ce danseur passionné par les questions environnementales de notre quotidien posera l’architecte en tant que scénographe, au plus près du corps humain. C’est autour de celui-ci et avec lui qu’il composera ses scénographies. De grands noms collaboreront dans cette aventure urbano-scénique, avec à chaque fois une nouvelle idéologie, une nouvelle contrainte, une nouvelle approche de la danse.     

 

En travaillant avec Jean Nouvel, Frédéric flamand mettra à dure épreuve ses danseurs en leur imposant une structure métallique dont les poteaux tous les 4 mètres gêneront tout mouvement élancé des danseurs. Ils poseront la question du corps dans les espaces confinés, ses possibilités et ses importantes contraintes. En travaillant avec Zaha Hadid, un objet central s’imposera sur scène, gênant tout déplacement, ne permettant pas la fluidité du plateau vide. Cet objet en tant que contrainte créé au fur et à mesure du travail permet tout autant au chorégraphe, aux danseurs et à l’architecte intimement lié au processus de création, de comprendre l’impact d’occupation de l'espace scénique, autant en danse qu' en architecture.     

 

L’éloge de la contrainte et la configuration d’un espace est à son apogée chez le chorégraphe. En prenant toujours de nouveaux risques, il cherchera à mettre en péril cet art pour mieux le faire évoluer, accompagné de ceux qui sont au plus près de ces questions du concret: les architectes.     

 

Cette nouvelle complicité créée entre architectes et danseurs aura également un impact franc sur le public qui assistera à ces spectacles. Il sera bousculé dans ses idées reçues, contraints à de nouvelles perspectives, à un nouveau rôle ; il sera inclus aux spectacles.       

 

Les danseurs chercheront toujours à rendre le cadre de scène de plus en plus poreux, laissant leur énergie débordé du cadre, laissant aux spectateurs devenir partie intégrante de la pièce. Certains chorégraphes iront encore plus loin, en invitant un même public à observer un spectacle en deux temps : le premier en intérieur, le deuxième en extérieur. C’est le cas de William Forsythe qui invitera son public à quitter la salle, prendre le métro, donnant rendez vous dans un extérieur urbain, offrant une expérience hors du commun tout autant pour la danse que pour le "spect-acteur".     

 

Cette évolution invoquée par ce souffle urbain, architectural, gorgée de questions d'actualité, aura permis d’ouvrir de nouvelles voies à la danse, de nouvelles voies aux architectes, et bien sur de nouvelles voies à l’espace scénique traditionnelle dont les portes désormais fluides laisseront part à plus d’authenticité et de réel.     

 

La danse urbaine, celle qui est née dans la rue se fraiera son chemin peu à peu pour aussi investir l’édifice théâtrale. Pourquoi et comment ont-ils besoin d’éléments relevant du domaine architectural (banc, rambarde, plan incliné, etc.) c’est autant de spectacles qui peu à peu immiscent dans les festivals de danse, avec de moins en moins de timidité, et avec de plus en plus d’honneur. Car beaucoup de chorégraphes de formation classiques le prouvent, ces mouvements purement urbains enrichissent et inspirent l’art de la danse au quotidien.     

 

Parallèlement à autant d’expériences hybrides, il existera toujours des puristes de la danse à l'air libre, inspirées par une danse de terrain, qu’il soit urbain ou bucolique… mais qui dorénavant seront toujours invités dans nos salles pour mieux les faire évoluer et exister.

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